Un des problèmes centraux dans le travail de reconstitution de l'idéologie prolétarienne c'est la construction de cadres et, en premier lieu, l'éclaircissement de la nature politique du militant communiste. Dans la mesure où l'aspect principal de la contradiction principale dans la phase actuelle du processus de Reconstitution nous oblige à centrer notre attention sur le stade actuel de l'avant-garde marxiste-léniniste, la définition de son composant individuel et des conditions requises qu'il doive satisfaire en tant que porteur et défenseur de la théorie de l'avant-garde prends la plus grande importance. Si une fois le Parti Communiste reconstitué le problème du militant individuel passe à un second plan, étant intégré dans une entité supérieure comme l'est la collectivité organique du parti (puisque, précisément, son existence présuppose que les problèmes auxquels nous faisons face ici et maintenant sont résolus et que le mécanisme d'intégration du militant sera établi), dans l'étape de Reconstitution la formation du membre de l'avant-garde, du dirigeant prolétarien ou du cadre communiste, devient cruciale comme pilier basique du détachement d'avant-garde marxiste-léniniste. Tant que ce détachement ne constitue pas encore l'organisme politique prolétarien qualitativement supérieur, comme collectif il est encore en grande partie la somme de volontés, et donc, l'attitude et l'aptitude individuelles revêtent le plus grand relief. La transformation de la volonté communiste individuelle en conscience révolutionnaire devient une des tâches les plus importantes et urgentes pour l'affermissement de l'avant-garde marxiste-léniniste et pour le succès de sa lutte pour la reconquête de la position d'avant-garde idéologique du prolétariat.
Dans ce sens, les éléments hérités du style de travail révisionniste que nous traînons encore, avec la dérive syndicaliste dans notre ligne de masses, nous a obligé à nous rappeler les termes de la polémique de Lénine avec les économistes et les mencheviks auprès du caractère du membre du parti. En 1902, dans son Que faire ? et face à la proposition de pratiquer le syndicalisme comme activité principale des membres du parti que présentaient les économistes , Lénine défendit qu'on devait « faire des militants social-démocrates dédiés au travail pratique des leaders politiques » [1] , et il insistait sur « notre mission ne consiste pas à défendre un rabais du révolutionnaire au niveau du militant primitif, mais à l' élever au niveau du révolutionnaire » [2] ; l'année suivante, au cours du II Congrès du parti ouvrier de Russie, Lénine de nouveau dut faire face à ceux qui voulaient rabaisser la qualification politique des militants révolutionnaires. Cette fois-ci contre le leader menchevik Martov et ayant pour motif l'article nº1 des Statuts, qui définissait le membre du parti, il demanda à l'assemblée si celle-ci considérait que n'importe quel gréviste ou n'importe quel charlatan pourraient être considérés membres du parti. D'une certaine façon, nous nous trouvons, maintenant, face à une alternative semblable ; d'une certaine façon, les questions relatives à qu'est ce que nous comprenons comme militants de l'avant-garde en fonction des nécessités actuelles de la Reconstitution nous sont présentées comme inajournables en ce qui concerne leur solution, les leaders pratiques ou les cadres formés intégralement dans tous les aspects, théoriques et pratiques, de la direction prolétarienne ?, comment éduquons-nous cette avant-garde, avec la perspective ample du processus historique d'émancipation du prolétariat, ou dans la promptitude du travail pratique ?, nous éduquons l'avant-garde à l'école du stratège ou dans celle du leader dirigeant d'une grève ?.
Georges Lukács, remarquable communiste hongrois, a dit à l'occasion que pour sa génération la figure de Lénine avait supposé une authentique révélation du point de vue du dirigent révolutionnaire. Et cela ne doit pas nous étonner, parce que Lénine est le premier grand dirigent révolutionnaire qui adopte la position du stratège dans la direction politique de la lutte des classes prolétarienne. En effet, depuis 1830, le chef révolutionnaire était le chef de file du cercle étroit conspirateur et clandestin et le leader de barricade. Même le parti ouvrier le plus puissant et organisé d'Europe, le parti social-démocrate allemand, n'a pu opposer une autre alternative à ce genre de leadership en dehors du tribun parlementaire. Lénine, au contraire, représente le leader des masses en mouvement, le chef de centaines de milliers et des millions d'ouvriers en action, il dessine à la perfection le profil nécessaire du dirigent des vastes masses que la révolution prolétarienne met en mouvement. Contrairement du leader de barricade, qui ne peut diriger qu'une seule action militaire, qui s'identifie avec elle et qui fait dépendre tout le cours de la lutte de cette action, en réduisant ainsi toute la capacité, intensité et profondeur du mouvement politique à part qu'il puisse octroyer quelques maigres manœuvres tactiques, Lénine, par contre, applique une perspective stratégique à la direction du mouvement, c'est à dire, la méthode combiner des actions tactiques en fonction de l'objectif stratégique, en subordonnant toujours celles-ci à celui-là et en utilisant absolument tous les moyens possibles, politiques et militaires, par rapport à chaque phase du mouvement. Lénine nous a enseigné qu'il ne peut y avoir de véritable méthode de direction de la classe si on ne combat pas la tendance spontanée de contempler la lutte de classes de la perspective de l'instrument que nous sommes en train d'utiliser à chaque instant : la tendance au syndicalisme, ou en général, à l'économisme quand nous essayerons de gagner les masses dans les fronts de résistance et de construire le Front Unique ; la tendance au parlementarisme quand nous ouvrirons le front de la lutte des classes dans le parlement bourgeois ; la tendance au militarisme quand nous déclarerons ouverte la guerre contre le capital, etc.
Si on nous permet d'utiliser le parallélisme avec l'art de la guerre, nous pouvons dire que Lénine signifie, pour l'art de la direction politique prolétarienne, le sommet que la figure du comandant de l'armée de l'Union pendant la Guerre de Sécession nord-américaine (1861-1864), Ulysse S. Grant représente pour l'histoire militaire. Jusqu'aux guerres napoléoniennes, la guerre était dominée par l'aspect tactique. Bien qu'à la différence d'Alexandre, Napoléon n'est pas intervenu personnellement dans la bataille et est resté à l'arrière-garde, le corse se situait sur une position de laquelle il observait le champ de bataille et il dominait tout le cours des opérations. Ainsi, le commandement participait directement dans la bataille, c'est pourquoi les manœuvres tactiques constituaient l'élément principal de la façon de conduire la guerre, c'est pourquoi celle-ci dépendait presque toujours du dénouement d'une seule bataille. Mais Grant a transformé ce concept de la guerre en inversant la relation stratégie-tactique en octroyant à la première la fonction principale. Ainsi, Grant commence par inclure dans la balance du pouvoir militaire ces facteurs externes qui sont la base du mode de vie d'une nation, en commençant par sa puissance industrielle et ses recours humains ; et en deuxième lieu, il met l'accent sur la logistique nécessaire pour que le potentiel matériel de la nation serve de support permanent d'une énorme et puissante machine de guerre. Le champ de bataille est, donc, le dernier point d'attention du commandement militaire. En fait, Grant se trouvait toujours à l'arrière-garde des batailles, sans établir de contact physique avec le front, en opérant en fonction des rapports qui le tiennent au courant de l'état de tous les fronts. La bataille en cours se subordonne au plan militaire général : la guerre ne dépend déjà plus d'une seule bataille, mais de tout un ensemble d'opérations qui ne veut qu'atteindre un objectif stratégique unique. Le nouveau concept de la guerre correspondait aux conditions de l'ère nouvelle qui s'ouvrait le chemin avec le capitalisme industriel, dont l'expression la plus pure et avancée était en train de se donner, et non pas par hasard, précisément sur le même sol que la forme la plus avancée de conduite de l'art militaire.
En traduisant les termes militaires à ceux de la polémique politique de Lénine avec les mencheviks, il s'agit d'adopter la tactique-plan face à la tactique-processus que défendaient ceux-ci. Ainsi nous concluons que le leader bolchevik représente un stade supérieur de développement, similaire à celui atteint par Grant dans l'art de la guerre, dans les méthodes de direction politique de la lutte de classes du prolétariat. Et celui-ci doit être le modèle sur lequel nous devons nous inspirer au moment d'aborder les questions relatives à la formation communiste et à l'élévation de nos militants au niveau du révolutionnaire, au moment d'affronter la tâche de la construction des futurs cadres dirigeants du prolétariat. Nous devons donc, éduquer des stratèges, pas des chefs militaires de barricade, ni des syndicalistes, ni des organisateurs de grèves ou des agitateurs (le développement du mouvement tâchera que les propres masses mettent en relief, le moment venu, des chefs de ce genre) ; nous devons nous élever dans notre formation jusqu'à nous situer à la hauteur qu'exige ce saut qualitatif qui a mis historiquement au premier plan la stratégie sur la tactique dans l'art militaire, la révolution sur la grève dans le terrain de la lutte des classes du prolétariat, et le Parti sur le Syndicat dans celui de son organisation.
C'est dans ce sens que Lénine insistait dans son Que faire ? sur ce que le bon dirigeant révolutionnaire n'est pas le « secrétaire de trade-union » [3], qui oriente la lutte économique des travailleurs, puisqu'il ne s'agit pas uniquement de la contradiction capital-travail. Au contraire, on ne peut pas doter de conscience politique de classe à l'ouvrier –disait Lénine– à partir de la sphère « des relations de toutes les classes et secteurs sociaux avec l'État et le Gouvernement, la sphère des relations de toutes les classes entre elles » [4], et il ajoutait : « si [le révolutionnaire] est partisan, non seulement dans les mots, du développement polyfacétique de la conscience politique du prolétariat, ‘il doit aller à toutes les classes de la population' » [5]. Le cadre de l'avant-garde, donc, doit s'élever jusqu'à la perspective supérieure qui lui permette d'observer et d'étudier d'en haut toute la scène de la lutte des classes, et de combattre toute tendance qui pousse vers la perspective du mouvement pour le mouvement , la perspective d'en bas qui empêche une contemplation complète de tous les évènements en relation avec la lutte entre les classes. Néanmoins, cette élévation réclame auparavant une certaine taille intellectuelle , une attitude mentale qui d'une certaine façon doit être acquise, parce qu'elle n'est pas innée, elle n'est pas spontanée ; elle réclame une préparation, un entraînement, une instruction qui qualifie le cadre communiste pour l'éducation et la direction révolutionnaire des masses.
Dernièrement, la bourgeoisie a laissé le témoignage qu'elle a présent à l'esprit l'importance de la qualification des cadres pour la direction du développement social. Il n'y a aucun doute que, dans cette qualification, la formation culturelle et l'instruction dans le savoir joue un grand rôle, et d'autant plus pour le prolétariat parce que sa conscience se construit –comme nous l'avons déjà dit– depuis la science. Sans aucun doute, la dernière réglementation promulguée par le gouvernement du Parti Populaire (PP), la Loi Organique des Universités (LOU), loi qui restreint l'accès des masses à l'enseignement supérieur, et la Loi Organique de la Qualité de l'Enseignement (LOCE), qui les éloigne de la possibilité de recevoir une formation culturelle intégrale, en promouvant la spécialisation prématurée –et, si possible, purement technique et pratique– de l'effectif scolaire, poursuivent comme but précisément de faire obstacle à la relation du prolétariat avec la culture, et ainsi, rendre difficile le développement de sa conscience en tant que classe et la construction de ses cadres politiques. Avec ces lois [6], la bourgeoisie est en train de nous dire qu'elle préfère que les futurs dirigeants du prolétariat se forment dans le syndicat et dans le mouvement pratique de masses et que l'université n'influence absolument pas cette formation ; elle est en train de nous dire que nous devons former des cadres agitateurs avant que des propagandistes, que nous devons cultiver des dirigeants pratiques et non théoriques, que nous devons former des tacticiens, et pas des stratèges ; en définitive, elle est en train d'induire à la classe ouvrière à éduquer à ses dirigeants dans la solution des problèmes immédiats et non pas dans la compréhension des problèmes globaux de la transformation sociale et de la direction de cette transformation, dans l'élévation vers la perspective révolutionnaire, jusqu'au point de vue du communisme, ce point de vue que Marx et Engels exigèrent déjà qu'il exprimât « les intérêts du mouvement dans son ensemble » [7] . L'offensive de la bourgeoisie contre la participation des masses dans et de la culture coïncide, précisément avec le moment où les détachements les plus avancés du prolétariat commencent à remettre en cause les problèmes relatifs au rôle de la conscience dans la formation de la conscience de la classe et dans celui de la construction de ses cadres dirigeants sur la base d'une perspective ample et intégrale, pas économiste, et ceux relatifs au lien qui existe entre la culture et la reconstitution idéologique du communisme. Toutefois il s'agit d'un hasard, mais malheureusement elle coïncide avec une conjoncture de repli et d'affaiblissement prolétarien et de force de la bourgeoisie. Ce qui est clair, du moins pour la bourgeoisie –et ça doit commencer à l`être aussi pour nous–, c'est l'importance qu'a pour la lutte des classes en général le problème de quelle classe possède le savoir et les ressorts éducatifs nécessaires pour la diffuser, et entre qui est-elle disposée à le faire ; ce qui aussi est clair, c'est que c'est une bataille de classe cruciale, d'une importance stratégique, du résultat de laquelle dépendra pour une grande part le futur succès à long terme de la Révolution Prolétarienne.
Nous extrayons, non seulement de l'actualité de la lutte des classes, des leçons qui nous indiquent l'importance de la préparation des cadres comme condition pour doter tout le futur mouvement de masses d'un caractère révolutionnaire, aussi l'histoire nous signale la même direction. Sans aller plus loin, certaines conclusions dérivées de notre analyse de la Révolution d'Octobre nous montrent l'importance décisive que les masses apprennent , déjà sous le capitalisme, le maximum possible sur le maniement et la direction des forces productives comme condition requise de l'indépendance de la classe et comme premier pas pour son apprentissage dans la future gestion et direction de toute l'économie sociale. Nous concluions que cet enseignement devait être porté le moment venu à notre politique syndicale sous la forme des revendications concrètes qui font possible cet objectif. Bon, pourquoi ne pas appliquer cette leçon au problème d'ensemble de la direction politique de la classe ouvrière, aussi bien avant qu'après la conquête du pouvoir ?, est ce que par hasard, il ne faut pas apprendre à être dirigeant ?, est ce que la direction du Parti, la direction des masses par lui, et après, la direction de toute la société n'exigent-elles pas, à chacune de ces étapes, la maîtrise de certaines techniques de direction, n'a pas besoin de connaissances qu'on ne peut obtenir de façon spontanée, mais au travers de l'apprentissage par l'étude et l'expérience ?.
L'idée même de préparation , d' apprentissage , relative à la tâche primordiale de la construction de cadres comme moyen pour le renforcement de l'avant-garde marxiste-léniniste et de sa position dans la lutte de deux lignes au sein de l'avant-garde théorique, nous informe que la nature du point de départ sur lequel nous devons nous situer est essentiellement théorique . De la même manière, le confirme l'objectif que nous nous étions donné en définissant les qualités du cadre communiste en suivant le modèle que représente Lénine, les qualités du stratège. Mais, dans quel sens devons nous comprendre cela ? Bien entendu, dans celui de nous éloigner de l'apprentissage pratique, des enseignements des luttes à pied de rue . Nous devons combattre toute proposition ou toute tendance qui favorise la culture de la pratique face à la théorie, qui apporte avec elle l'éducation politique à l'école de la pratique, de l'organisation et du travail quotidien (praticisme) face à l'éducation à l'école de l'étude théorique et de l'élévation intellectuelle du militant ; nous devons combattre toute attitude théorique ou pratique qui conduise à l'infra valorisation du rôle de la théorie dans la formation des cadres communistes et qui implique la minus valorisation de tout effort, individuel ou collectif, pour élever culturellement et idéologiquement les militants d'avant-garde. Mais il faut aussi combattre l'idée de la formation théorique dans le sens purement formel, que l'instruction des communistes consiste en une sorte d'agrégat in discriminé de données et de connaissances. Pas du tout. Il s'agit de former dans et à partir de l'idéologie prolétarienne, dans et à partir du marxisme-léninisme, mais non pas compris en tant que philosophie politique , mais en tant que conception du monde . L'objectif consiste en ce que les communistes finissent par assumer le marxisme-léninisme comme Weltanschauung (conception du monde), qui est la forme véritable de concevoir l'idéologie prolétarienne, supérieure à la forme traditionnelle –nous pourrions même dire, spontanée– de l'appréhender qui fut dominante pendant la plus grande partie du Premier Cycle Révolutionnaire, le communisme compris presque exclusivement en tant que théorie politique. Ceci suppose une pratique réductionniste de tout le riche complexe idéologique du marxisme-léninisme, et mène à une conception unilatérale de celui-ci. Précisément et avec toute probabilité, une des causes de fond de la déroute du prolétariat dans ce cycle il faille la chercher dans ce déficit idéologique. Du moins nous trouvons comme explication dans la mesure qu'une des problèmes provinrent de l'incapacité idéologique pour donner des réponses politiques en accord avec les nouvelles situations historiques que présentait le processus de transformation de la société.
La prédominance de la conception étroite du marxisme en tant que philosophie politique fut un cas général pendant tout le Cycle d'Octobre dans le mouvement communiste international. La cause fondamentale résidait dans le fait que les partis communistes se fondèrent toujours sur une base programmatique et sous la tutelle externe (l'Internationale Communiste). Même beaucoup des développements idéologiques du parti principal de ce mouvement, le parti bolchevik –qui lui oui s'est formé et s'est développé en vertu de la solution de débats théoriques d'une profonde calaison– se réalisaient, surtout après la mort de Lénine –bien qu'aussi, pour une part, sous sa direction–, en fonction de problèmes conjoncturels, qui de plus se résolvent souvent d'une façon insatisfaisante du point de vue de la relation entre le dépassement de ces conjonctures politiques déterminées et les exigences à long terme du mouvement vers le Communisme.
Des exemples de ces problèmes insuffisamment résolus, et que nous montrons ici seulement dans ce dernier sens, sont : la question du capitalisme d'État –l'économie étatisée– dans la société de transition, qui est restée en l'air au X congrès du parti bolchevik et qui, pour le XV, avait déjà disparu comme problème presque magiquement, en identifiant capitalisme d'État avec socialisme ou si on préfère, étatisation avec socialisation des moyens de production ; le débat non résolu sur la façon de conduire la transformation des relations sociales dans le champ russe, à partir de 1924 (on a considéré un dernier écrit de Lénine intitulé À propos des coopératives , comme le plan léniniste de collectivisation de la campagne , alors que d'un côté, ce n'était qu'un texte de réflexion destiné au débat et pas une proposition de résolution de lui-même, et d'un autre côté il ne répondait pas à tous les aspects du problème –comme par exemple, la lutte des classes dans la campagne) ; le développement insuffisant de la théorie du Socialisme dans un seul pays comme réponse aux besoins du progrès de la Révolution Prolétarienne Mondiale à partir de la deuxième moitié de la décennie des années 20, qui a alimenté une tendance marquée au nationalisme (social-chauvinisme) dans le parti communiste soviétique et sa déviation vers la théorie des forces productives ; le renoncement à l'indépendance politique du communisme à cause d'une alliance à n'importe quel prix avec la social-démocratie et le libéralisme contre le fascisme (tactique confirmée par le VII Congrès du Komintern) ; la subordination de la science aux intérêts de la politique au point de manipuler les résultats de celle-ci et fausser l'essence du marxisme ( cas Lyssenko, en Biologie ; cas Kozyrev, en Astro-physique ), etc. Tous ces débats font référence au cas soviétique et, bien qu'on ne termine jamais en eux de rompre les liens avec les besoins de fondements théoriques que tout développement exige comme prémisse, par contre on perçoit une tendance marquée à la prédominance de ce qui est conjoncturel, à résoudre d'une façon intéressée en fonction des besoins immédiats de la ligne politique ou l'état des choses en vigueur.
Si ceci arrivait dans l'organisation d'avant-garde du mouvement communiste international, cette tendance au réductionnisme politique de l'analyse marxiste se présentait beaucoup plus accentuée dans les partis frères, où ils se limitaient bien souvent à traduire simplement dans leur propre intérieur les résultats politiques des débats qui avaient eu lieu au sein du parti communiste soviétique.
Dans l'État espagnol, quant à lui, à ces particularités communes au mouvement général se joignent d'autres particularités dues aux propres conditions de l'évolution socioéconomique et politique du pays, et en particulier, au mince enracinement qu'a toujours eu le marxisme dans le mouvement ouvrier. Premièrement, par l'hégémonie de l'anarchisme pendant l'époque de l'AIT ; après, quand en Europe le socialisme d'inspiration marxiste finit par hégémoniser le mouvement ouvrier (bien que presque toujours d'une façon plus formelle que réelle), parce que l'État espagnol est demeuré à l'écart de ce processus. En effet, quand à moitié du XIXe siècle, Julian Sanz del Rio, intellectuel ayant de l'ascendant sur les secteurs progressistes qui avaient de l'influence sur le mouvement ouvrier naissant, a visité l'Allemagne, nation qui possédait une tradition philosophique effervescente, ayant pour intention la recherche d'une philosophie qui pouvait encadrer les projets politiques de la bourgeoisie révolutionnaire, il découvrit que deux écoles étaient là-bas à la mode entre les élites intellectuelles : le socialisme (surtout, Hess, Weitling et l'école du vrai socialisme) et le krausisme. Il choisit ce dernier courant de pensée et il l'introduisit en Espagne, en prêtant ensuite les bases théoriques du discours politique de certains secteurs de l'opposition au système de la Restauration et du réformisme libéral de la fin du XIXe siècle et du premier tiers du XXe. À l'époque où Sanz del Rio fut pensionné par le gouvernement espagnol en Allemagne, ni le marxisme avait cristallisé encore comme courant alternative du socialisme, ni dans l'État espagnol le développement du prolétariat était suffisamment important comme pour que l'intellectualité avancée fut sensible à ses besoins théoriques. En Espagne la révolution bourgeoise n'était pas encore achevée, et le parti démocratique n'était même pas apparu sur scène (tout ceci a cours avant la Glorieuse Révolution de 1868). Néanmoins, et puisque la frontière des Pyrénées restait imperméable à la pénétration de toute influence du socialisme français, on a perdu une bonne occasion pour créer de bonne heure une école de pensée socialiste en Espagne qui aurait facilité la création de conditions culturelles pour la postérieure réception du marxisme. Au contraire, la pensée humaniste et personnaliste qui déposait toute espérance de rénovation dans l'éducation de l'individu avait fleuri. Quand dans l'État espagnol fut créé le premier parti et le premier syndicat ouvriers (1879 et 1888), dans le milieu intellectuel de l'époque le marxisme n'était pas présent sérieusement. L'influence du réformisme et de l'idéologie bourgeoise fut, par conséquent, trop importante dans la fondation de ces organes du mouvement ouvrier déjà solide dans l'État espagnol. En fait, le marxisme n'a jamais constitué l'unique source d'inspiration pour la politique du PSOE (Guesde a plus d'influence que Marx dans l'élaboration théorique et politique du parti dans ses premières étapes), et quand son aile gauche se scinde pour former le PCE, elle le fait plus en vertu des évènements qu'avait provoqué la Révolution d'Octobre sur la scène internationale, que comme fruit d'un processus interne de délimitation politique et idéologique. Ensuite, seulement pendant des conjonctures historiques d'essor de la lutte des classes du prolétariat le marxisme récupère son rôle protagoniste sur l'avant-scène politique espagnole : pendant la II République et dans le franquisme tardif le marxisme se situe comme référence de première ligne pour les secteurs de l'avant-garde de la société et pour le mouvement ouvrier ; néanmoins, dans les deux occasions il se présente dans son aspect amputé de pensée politique : il alimenta les programmes d'innombrables groupes et partis, mais leurs lignes politiques ne sont pas supportées par une tradition philosophique sédimentée qui eut familiarisé des promotions d'intellectuels et des générations de dirigeants ouvriers avec la conception du monde marxiste. Cette faille entraînera de graves conséquences quand pendant la Transition l'option pour la rupture sera déroutée (déjà d'elle-même, envisagée d'un mode petit-bourgeois), et avec la monarchie parlementaire tout ce mouvement politique révolutionnaire disparaît, après la trace duquel il ne restera absolument rien du discours prolétarien.
En résumé, dans l'histoire contemporaine de l'État espagnol le marxisme ne s'est jamais figé en tant qu'école de pensée, et son histoire politique a à peine laissé son témoignage. Le fait qu'ici nous ne puissions faire mention à aucun Kautsky, Labriola ou Pléjanov, en dit assez par soi-même du rôle que les idées de Marx ont pu jouer dans l'orientation du prolétariat espagnol dans sa lutte de classes, pauvre sur le terrain politique et nul sur le théorique. Avec ceci nous ne voulons pas insinuer qu'une des tâches actuelles doive être celle d'implanter le marxisme en tant qu'école philosophique en Espagne. Absolument pas. Toutefois dans les prolégomènes de la première grande vague de la Révolution Prolétarienne Mondiale une certaine autonomie entre la lutte théorique et celle politique pouvait avoir lieu. Le monopole presque exclusif du savoir entre les mains de l'intellectualité permettait que certains individus résolvent les questions de fond les plus théoriques, alors que le parti s'occupait de l'agitation et de la propagande. Mais à partir du moment où le parti de nouveau type léniniste se transforme en point de départ pour le commencement de la prochaine vague révolutionnaire, cette division du travail n'a déjà plus lieu. Maintenant, c'est en ayant pour centre le Parti Communiste que le prolétariat affronte la lutte des classes sur les trois niveaux que décrivit Engels : économique, politique et théorique. Parler du marxisme en tant que philosophie et du marxisme comme ligne ou programme politique séparément n'a déjà plus aucun sens. Si nous le différencions dans la petite valorisation historique sur ce qui est en vigueur du marxisme dans le mouvement ouvrier international pendant le Premier Cycle Révolutionnaire, c'était parce que, en plus de constituer un fait, il nous permettait d'expliquer les raisons du réductionnisme politique auquel fut soumise la pensée de Marx d'une façon généralisée dans le monde et d'une façon exagérée dans l'État espagnol. Mais le nouveau cycle de la Révolution Prolétarienne présuppose la dichotomie intellectualité bourgeoise-mouvement ouvrier qui a caractérisé le Cycle d'Octobre surpassée et, donc, aussi la tendance à l'autonomisation de la direction de la lutte dans les différents domaines de la confrontation sociale. Au contraire, elles vont toutes s'articuler autour du Parti. Néanmoins, ceci entraîne avec soi le défi d'assumer le marxisme comme totalité, comme cosmovision, comme Weltanschauung . La conservation des liens et des interrelations existantes entre les différents niveaux de la lutte des classes permettra de plus grandes garanties dans la cohésion idéologique entre les fondements théoriques et les résolutions politiques et une vision critique plus profonde qui permette en tout moment l'adaptation de la ligne politique aux besoins du développement réel de la société, sans hypothéquer le futur révolutionnaire par les besoins politiques momentanés, bien que celles-ci nous paraissent urgentes.
L'obligation que nous imposent actuellement les tâches relatives à la Révolution Prolétarienne d'assumer le marxisme-léninisme comme un tout, comme conception du monde, ne veut pas dire que la politique ait cessé d'être le terrain décisif de la lutte des classes, en général, et que la Reconstitution du Parti Communiste ait cessé d'être la tâche politique la plus urgente pour le prolétariat conscient, en particulier. Au contraire, la politique continue d'être l'expression concentrée de la lutte des classes et le point qui permet la transition de la critique sociale à la pratique sociale, lieu d'installation nécessaire, donc, pour l'œuvre de transformation du prolétariat. Mais que la politique soit le principal et la lutte pour le pouvoir politique soit ce qui est véritablement important, c'est une chose, et une autre bien différente considérer que c'est en termes politiques que se résolvent toutes les formes de la lutte des classes ou que ce soit le point de vue des besoins de la politique en cours celles qui dominent les analyses des problèmes que pose la lutte des classes. La domination du critère de la politique par la politique a prouvé qu'elle génère une tendance au pragmatisme et au tacticisme trop dangereuse. Le moyen de la surpasser c'est d'adopter le point de vue global qui nous permette d'encadrer chaque instant dans le processus dans lequel il est inclus, en conservant toujours la perspective de l'objectif final ; et ce point de vue seulement peut nous l'apporter le marxisme-léninisme en tant que cosmologie.
Notes:
[1] LENINE, V. I. : Obras Completas. Moscou, 1981. 5e édition. Tome 6, page 91.
[2]Ibidem , pág. 134.
[3]Ibid ., pág. 86.
[4]Ibid ., pág. 84.
[5]Ibid ., pág. 87.
[6] Malgré que la réforme de la LOCE (Loi Organique de Qualité de l'Enseignement), promu par le PSOE et qui sera approuvé l'automne du courant, a limé les arêtes plus rétrogrades de la loi (dérogation des itinéraires dans l'enseignement secondaire et caractère volontaire de la discipline de religion) ralentissant la tendance qu'impose le capital vers la spécialisation dans l'apprentissage que le PP voulait accélérer, on verra à quel point le nouveau parti au pouvoir, va annuler la portée de cette réglementation ultra-réactionnaire. En tout cas, ce sera seulement une question de degré: c'est le PSOE qui avait introduit la LOGSE, à la fin des années 80, alors que l'on avait déjà démontré —par exemple, en France— qu'elle allait provoquer une détérioration dans la qualité de l'instruction publique.
[7] MARX, K. et ENGELS, F. : Op. cit. ; page 35.